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mardi 23 novembre 2021

Bibliothèques & Métaverse

Viabooks_Lorenzo Soccavo dans Metaverse

Est-ce déjà demain pour les dispositifs et les pratiques de lecture, ou en tous cas pour la prescription et la médiation des livres et de la lecture ?
Probablement.
Aussi suis-je à votre écoute pour échanger à partir de cet entretien avec Olivia Phelip sur Viabooks : De la lecture en 3D à la BiblioSphère...

mercredi 23 décembre 2020

Le support papier et son avenir...

Je suis souvent sollicité par des étudiant.e.s pour des entretiens... J'en fais écho cette fois-ci car comme sujet il s'agit de l'avenir du "support papier", et comme contexte celui d'une grande école de design.
Voici donc : 

 
 — Selon vous, quelles ont été les fonctions spécifiques du papier depuis son apparition et son évolution ? Support de l’archive et de l’écriture, quels ont été/sont ses "pouvoirs", ses lacunes et ses limites ?

Ses fonctions ont été celles d’un support léger, maniable et facilement transportable qui a en partie contribué au développement de la lecture, et ses limites sont liées à ses qualités, la fragilité à l’eau, au feu, à des parasites...
La question du pouvoir symbolique n’est pas tant liée au papier ou au livre qu’à l’écrit en fait, voire même à la maîtrise de la parole. L’expression "Avoir voix au chapitre" a longtemps véhiculé cette idée. Cependant la rareté et le coût des livres, en lien d’intelligence avec les pouvoirs économiques et politiques, les problématiques sociales d’enseignement et d’alphabétisation, doivent nous conduire à relativiser. Dans quelle mesure la valeur symbolique attachée au papier a-t-elle été une construction sociale artificielle ? Aujourd’hui poser devant une bibliothèque véhicule-il toujours le même message que naguère ?


— Considérant ses propriétés (conservation et pérennité), le papier est un témoin, une preuve du passé, vivant et significative (l’archive). Dans un sens, le papier rendrait le réel visible, lisible et intelligible. Quels rapports pouvez-vous établir entre le réel et le livre/le papier ?

La conservation et la pérennité du papier sont très relatives. C’est l’écriture, et non pas le papier, qui rend visible le langage verbal et la pensée, la parole invisible. Dans un sens l’on peut penser que cette opération de rendre visible la parole nous informe sur le réel, c’est-à-dire qu’elle lui donne forme, ou bien qu’elle nous forme, nous, à percevoir une certaine image du réel et à l’exprimer dans certaines limites communément admises par l’époque.
Il faudrait s’entendre sur une définition du réel dans le sens où le papier et les livres, que j’aime parfois à définir comme "des moyens de locomotion", véhiculent surtout des fictions et que, par exemple, une majorité de fictions littéraires nous ouvrent les portes vers des mondes imaginaires.
Le papier est le sable sur lequel nous apparaissent les mirages de l’écriture. L’analogie qui me vient à l’esprit est celle d’une partition, le solfège rend visible la musique mais la musique reste invisible cependant.


— Selon Jacques Derrida, le papier nous représente, nous atteste (Papier Machine, Galilée, 2001). En tant que support et sujet il acte, il crédite ou discrédite une réalité, "sur le papier". Pourtant, avec le numérique, il quitte peu à peu le monde réel pour se dématérialiser (e-paper, écran d’ordinateur), il se "virtualise". Comment alors le support du réel peut-il devenir virtuel ? Comment un support virtuel peut-il acter le réel ?

Je n’ai pas lu le livre de Derrida que vous évoquez. Je pourrais essayer de vous répondre à partir de l’essai "Simulacres et simulation" de Jean Baudrillard, mais je préfère vous répondre par moi-même.
En réponse à notre angoisse de mort nos ancêtres ont éprouvé très tôt semble-t-il le besoin d’inscrire, graver, buriner, laisser des traces de leurs passages. Nous pouvons penser que la transmission se faisait alors autrement que par ces sortes de témoignages, mais plutôt par imitation et apprentissage manuel, puis progressivement par des récits oraux. Et si nous voulons être rigoureux dans notre pensée nous devrions même nous questionner sur en amont l’apparition du langage articulé et sur sa pertinence à rendre compte du réel. Dans les diverses théories à ce sujet l’une avance l’hypothèse que le langage articulé aurait été facilité par la nécessité de devoir rendre compte de réalités éloignées dans le temps ou l’espace et ne pouvant pas être désignées par un geste de la main. C’est là ouvrir la porte à la fabulation, aux mensonges, etc., dès l’origine.
Avec le numérique, plus précisément que le papier, c’est la feuille, la page qui semble se dématérialiser, alors qu’étymologiquement le terme même de page est lié à une surface cultivée parcourable d’un regard, un champ, une vigne… Dans notre patrimoine culturel lire un texte et lire un paysage sont intimement liés.
Aujourd’hui la page de papier passe d’un monde de particules physiques à un monde de pixels. D’où ces inquiétudes multiples. Un sentiment de malaise qui pourrait peut-être s’expliquer par l’impression que le virtuel semblerait pouvoir introduire une rémanence plus proche de la pensée que le ne le faisaient l’écriture manuscrite ou l’imprimerie.
Cependant il demeure aussi une autre forme d’attachement aux livres et au papier et qui tient peut-être au fait qu’il existerait un esprit des objets qui se connecterait à nous, dans le sens qu’il entrerait en relation avec notre esprit, ou bien auquel notre esprit se connecterait sans avoir recours à un dispositif technique.
En résumé la frontière entre réel et virtuel est-elle si nette que cela ? C’est la question qui se pose également pour le rapport entre réalité et fictions.


— Selon vous, quels impacts majeurs l’arrivée du numérique a-t-elle eus sur la lecture et sur l’écriture ? Quels changements le traitement de texte numérique a-t-il eu sur le processus d’écriture ? Et sur le processus de lecture ? Le numérique s’adapte-il à nos habitudes et notre culture ? Ou l’inverse ?

Pour ce qui est de la lecture je pense que globalement nous lisons davantage même s’il s’agit d’une lecture moins suivie, moins linéaire et plus entrecoupée par des sauts multi voire transmédia. Ce qui potentiellement peut autant être une source d’enrichissements que de distraction préjudiciable.
Pour ce qui est de l’écriture il faudrait évaluer les risques liés à une perte progressive de l’écriture manuscrite (claviers, interfaces tactiles, reconnaissance vocale…) et ses impacts potentiels en termes de compréhension et de mémorisation notamment.
Le laboratoire Lutin Userlab a produit des travaux sur les impacts des différences de supports sur la lecture. Le professeur Stanislas Dehaene du Collège de France travaille également sur ces questions. Ces différents travaux reconnaîtraient nos indéniables facultés d’adaptation. Nous constatons bien depuis déjà quelques décennies que nous nous adaptons au numérique, cela ne signifiant pas que c’est facile pour tous, ni sans risques ou sans pertes, ne serait-ce que d’un sentiment de sécurité.


— Le livre et le papier ont, pendant des siècles, véhiculé le savoir, la mémoire et la culture. Comment le numérique, en seulement quelques dizaines d’années, a-t-il bouleversé la suprématie du livre, du support papier ? Comment être sûr qu’il soit capable de remplacer un support/un objet aussi historiquement ancré dans nos civilisations ?

Nous ne pouvons être sûrs de rien. Mais un livre imprimé est un objet clos sur lui-même et statique, tandis qu’un livre numérisé permet une plasticité d’affichage et d’accès, des recherches internes…
Par rapport au support papier il faut plutôt considérer le numérique comme la possibilité d’une hyper bibliothèque potentiellement accessible à tous en permanence, que comme un simple concurrent aux livres qui serait en compétition en termes de victoire ou d’échec.
Je crois que de tous temps l’essentiel de la transmission s’est effectuée bien plus par la chaîne du vivant, par une continuité génétique et spirituelle, que par des héritages matériels biodégradables dans le temps. Les livres imprimés devraient connaître le sort des rouleaux de papyrus et les tablettes numériques le sort des tablettes d’argile. Cela dit il reste deux aspects à prendre en compte : d’une part, le numérique n’est absolument pas de l’immatériel (il y a toujours une réalité physique de serveurs informatiques et de data centers), d’autre part, quand des archéologues retrouvent une tablette d’argile ils voient à sa surface des inscriptions à décoder, un archéologue du futur quand il retrouvera une tablette tactile il ne verra... rien.


— Le texte numérique a la capacité de se métamorphoser, de se transformer, d’interagir. A l’inverse du texte sur papier, il est en constante évolution. Avec la circulation massive de l’information, de la communication, le "règne de l’accès", mais aussi les solutions de contrôle, de tri, doit-on se méfier du texte numérique (fake news, falsification, perte de documents) ?

Oui, nous devons toujours nous méfier. Mais aussi avoir conscience que les erreurs sont plus facilement et rapidement détectables et corrigeables que dans le passé et que le travail collaboratif et les échanges contribuent à la validation des informations publiées. Énormément de mensonges et de propagande furent imprimés sur papier et véhiculés par des livres au cours des siècles passés.
Comme nous ne pouvons pas plus revenir à un avant le numérique qu’à un avant le chemin de fer, ce qu’il faut c’est nous adapter. En l’occurrence il nous faut détecter et lutter contre l’illectronisme, et faire en sorte que les enseignants et les bibliothécaires puissent développer une véritable littératie numérique auprès de la population.
A terme des développements de la technologie blockchain devraient permettre un meilleur contrôle de la fiabilité et de l’intégrité des contenus et de l’authentification de leurs sources.

— En constatant les avantages du livre électronique (accessibilité, maniabilité), est-il raisonnable d’imaginer la fin du livre papier dans les décennies à venir ?

Ces avantages sont à ce jour loin d’être des réalités. Mais c’est en effet en termes de décennies qu’il faut penser. Pour l’heure les enfants en âge de faire leur apprentissage de la lecture et de l’écriture le font encore majoritairement sur du papier, même si les apprentissages sur supports numériques se développent. Nous devons envisager ce changement sur le temps long de la chronologie des successions de générations et des politiques gouvernementales d’éducation soumises à des contraintes économiques fortes. De plus il peut toujours y avoir de l’imprévu : le récent confinement a révélé les difficultés et les limites de l’enseignement à distance et provoquera peut-être une accélération de la littératie numérique au sein de l’éducation nationale.

— Pensez-vous que l’avenir du livre soit lié à celui du papier ? En mettant en lumière ses lacunes et ses limites, le numérique peut-il aider le papier/le livre papier à se réinventer ? Une résistance du papier est-elle possible ?

L’avenir de l’objet livre en tant que dispositif de lecture est probablement lié oui à l’avenir du papier. Comme l’argile était lié aux tablettes d’argile et le papyrus aux rouleaux.
Mais le support papier, en tant que matière première, évolue toujours et il est l’objet de développements technologiques intéressants. Je pense notamment aux travaux conduits au sein de l’INP-Pagora de Grenoble par exemple sur les encres conductrices et l’électronique imprimée. A terme nous devrions évoluer vers des interfaces hybrides mixant ce que nous distinguons aujourd’hui comme étant du papier, et, les écrans (écrans flexibles...).
Par ailleurs d’autres technologies d’affichage de textes sont également l’objet de recherches, comme l’encre et le papier électroniques déjà exploités dans ce que nous appelons "liseuses", ou encore à partir du graphène.
Pour ce qui est d’une possible résistance du papier cela fait déjà quelques années que les acteurs de la filière des industries graphiques se sont organisés sous l’impulsion de leurs représentations syndicales professionnelles, entre autres l’UNIC (Union Nationale de l'Imprimerie et de la Communication) avec notamment Culture Papier qui mène un important travail de lobbying. La filière graphique (papeterie, imprimerie, diffusion et distribution…) représente des centaines de milliers d’emplois. Le SNE (Syndicat National de l’Édition) est également très actif. Enfin, pour conclure positivement, des éditeurs innovants travaillent à rapprocher l’univers du papier et l’univers numérique... 

Et vous, qu'en pensez-vous ?

mardi 12 mai 2020

Le Livre est-il mort ? 3 réponses...

Lorenzo_Soccavo_in__2020-05-12 NEON
Ma réponse sur NEONMAG.FR...
Mon entretien avec Pauline Petit paru dans le NEON #75 de février est maintenant librement consultable en suivant ce lien.
"L’avenir du livre dépend de l’évolution de la société et des industries du divertissement. En 2007, le e-paper et les liseuses semblaient représenter l’avenir, mais face au lobby des papetiers et des imprimeurs et aux avancées technologiques des écrans, smartphones et tablettes, le rendez-vous a été manqué...
 

jeudi 7 mai 2020

Que lire et surtout relire ?

Dans le texte de mes réponses à Emmanuel Lemieux (dont des extraits étaient parus dans Marianne mi-avril) je précise l'air de rien quelques éléments significatifs sur mon parcours intime de lecteur et ce qui m'a conduit à la découverte de mon fictionaute. 
Les relectures, les lectures de diverses traductions d'un même texte sont deux pistes pour transformer un livre en laboratoire de pensée.

- A découvrir dans le magazine Idées - L'actualité des savoirs #7-8 (Que lisez-vous ? p.208), et / ou bien n'hésitez pas à me contacter directement !

vendredi 5 juillet 2019

Le Futur de la Lecture vu par Usbek & Rica !

Le magazine qui explore le futur, Usbek & Rica, consacre son numéro d'été à un sujet passionnant : Littérature la résurrection, en posant la question : "Pourquoi on lira et on écrira encore demain", question, notons-le avec joie, sous la forme d'une affirmation en fait.

En plusieurs volets différentes facettes de la problématique du devenir de la lecture et de la création littéraire sont abordées avec de nombreux exemples et références : "Demain, trop abrutis pour lire ?" ; Portrait-robot de l'écrivain du futur ; "La réalité n'a plus besoin de roman" ; La Chine empire de la web-littérature ; "Une IA décrochera-t-elle le Nobel de littérature ?" ; Quand la littérature de science-fiction parle de... littérature.

Suite à un entretien avec la journaliste Annabelle Laurent c'est à la partie " Demain, trop abrutis pour lire ? "que j'ai apporté mon grain de sel au débat en essayant avant tout de défendre une vision résolument optimiste de l'avenir de la lecture.
J'y évoque notamment ce que j'appelle LE FICTIONAUTE (la part subjective de soi qu'une lectrice ou qu'un lecteur projette spontanément dans ses lectures), dont la prise de conscience et l'autonomisation pourront seules éviter que nous devenions un jour "des lecteurs zombies hallucinés vivant dans des mondes fictifs" !


Lorenzo_Soccavo_in_2019-07-04 Le magazine Usbek Rica
Découvrez deux visions sur le futur de la lecture et mon point de vue optimiste

Pour plus de précisions sur mes recherches et les concepts que je suis amené à développer n'hésitez pas à me contacter directement. 
Deux autres aspects essentiels mériteraient en effet eux aussi toute notre attention : la question des métalepses narratives (que nous pouvons rapidement définir comme des effractions de la trappe du réel. Comme si soudain le contact avec la réalité venait à nous manquer et que nous nous retrouvions DANS le texte, dans le monde de ce que nous sommes en train de lire), et celle des personnages de fictions en tant qu'extra-terrestres. 
Parlons-en si vous voulez !
 

mardi 16 octobre 2018

Entretien avec Turbulences le Magazine des Transformations !

Interview_Lorenzo_Soccavo_Medium
Sur la prospective du livre et de la lecture...
 
Mon interview avec Thibaud Zuppinger de SYMBOLON.consulting pour Turbulences - Le magazine des transformations est maintenant en ligne dans son intégralité sur Medium. 

mercredi 6 juin 2018

La Prospective du Livre entre en Turbulences

A lire mon entretien de trois pages par Thibaud Zuppinger dans le numéro inaugural du nouveau bimestriel Turbulences - Le magazine des transformations, de Symbolon Consulting :

Turbulences_Interview_Lorenzo_Soccavo_juin_2018
Cliquez ici pour télécharger gratuitement le PDF du magazine...

vendredi 1 juin 2018

Récit(s) dans la Revue du Cube !

Découvrez mon entretien avec Nils Aziosmanoff dans le numéro 14 de la Revue du Cube - Centre de Création Numérique, et profitez-en pour découvrir aussi les autres points de vue et fictions sur le thème crucial de : Récit(s)
 
Interview_Lorenzo_Soccavo_Revue_Le_Cube_Juin_2018


lundi 16 octobre 2017

Lecture et Cyberespace dans Savoir(s) le Mag de l'Université de Strasbourg

Pour cette rentrée universitaire le N° 31 d'octobre 2017 de Savoir(S), le magazine d'information de l'Université de Strasbourg consacre une page à l'évocation de quelques-uns de mes travaux sur la plateforme EVER (Environnement Virtuel pour l'Enseignement et la Recherche) de leur université. 

Pour rappel, j'ai développé sur cette plateforme web 3D immersive avec avatars sous logiciel libre OpenSimulator, différents prototypes en partenariat avec Jenny Bihouise : une librairie-témoin, un projet de bibliothèque universitaire, un café littéraire (dans lequel ont eu lieu plusieurs rencontres internationales en duplex) ; et, en partenariat avec Adret Web Art : plusieurs créations originales de mises en monde de textes littéraires d'auteurs français et québécois, ainsi que Lire en Choeur, à la fois projet de lectures partagées à haute voix et d'émissions radio... A suivre...

dimanche 9 avril 2017

Réponses à une étudiante sur le futur du livre

J'ai régulièrement le plaisir de répondre à des interviews d'étudiantes ou d'étudiants de diverses filières, mais qui tous ont en commun de s'interroger sur les évolutions des dispositifs et des pratiques de lecture. 
En général je suis à leur écoute et à celle de leurs enseignants et de leurs établissements pour notre intérêt réciproque, car, de fait, nous traversons tous bel et bien une période historique que nous pourrions qualifier, comme je le fais parfois, comme étant celle des "e-incunables"...
 
- Quel impact l’apparition des appareils de lecture numérique a-t-il eu sur le marché du livre ? Quel bilan peut-on faire aujourd’hui ?
 
Concrètement presque aucun je pense. Les ordinateurs n'étaient pas et ne sont pas conçus pour une lecture attentive dans la durée. Quand les "liseuses" à encre électronique sont arrivées à partir de 2007 elles ont suscité un grand espoir, dont je me suis alors fait l'écho dans mon premier livre "Gutenberg 2.0 le futur du livre", mais leur marché a vite été menacé et leurs développements ralentis par l'arrivée des tablettes de type iPad, puis par les smartphones. Ces appareils sont plus couteux, mais ils sont polyvalents et plus attractifs qu'une simple liseuse qui n'a qu'une unique fonction : lire des textes. Du coup, et si l'on prend aussi en considération le travail de lobbying des acteurs traditionnels de l'interprofession du livre, le marché du livre numérique n'a jamais vraiment décollé et il stagne aujourd'hui en France comme, depuis l'an passé, aux Etats-Unis.
Le véritable impact des appareils numériques de lecture a été d'amorcer parmi les professionnels du livre et certains lecteurs, un questionnement sur l'évolution des pratiques de lecture, et de générer l'émergence d'une nouvelle génération d'éditeurs pure-players (numériques) (liste actualisée des francophones ici http://prospectivedulivre.blogspot.fr/2011/04/plus-de-30-editeurs-pure-players.html ).
 
- Qu’est-ce qu’un livre tout à fait dématérialisé qui intègre une dimension à la fois visuelle et sonore ? Peut-on encore parler véritablement de livre ?

La question se pose en effet ! A chacun(e) d'y répondre selon ses goûts ou ses intérêts. Rien n'oblige à ce que "cela" soit toujours, soit encore un livre. Ce n'est peut-être pas grave si ce n'est plus un livre. Je pense que l'important c'est, non pas tant le livre, que la lecture. Les questions qui se posent alors sont plutôt : en quoi cela fait-il récit ? En quoi est-ce narratif et immersif ? Mais aussi : est-ce que cela apporte réellement quelque chose en plus au sentiment du lecteur de "rentrer dans l'histoire", de s'identifier à un personnage ?
La BD est un bon exemple. Avec des animations, sonorisations, etc., elle devient vite un dessin animé ou un film d'animation ! 

- Considérez-vous les nouvelles technologies comme une menace pour le livre ?

Non. Pour les lecteurs attachés à une lecture au long cours sur papier imprimé les nouvelles technologies ne changent rien. Pour les autres, elles apportent des ouvertures, la possibilité de nouvelles expériences narratives, d'autres façons de se confronter à des univers fictifs et de s'immerger dans une histoire. Cela dit,  nous devons être vigilants et prendre conscience des inévitables changements générationnels et de ce qu'ils produiront : quid des tout jeunes qui font aujourd'hui leur apprentissage de la lecture et de l'écriture avec des supports numériques ? Il est probable qu'adolescents puis jeunes adultes ils ne se tourneront plus spontanément, ou moins souvent en tous cas, vers le papier.
 
- Pensez-vous que la fracture numérique entre les générations puisse empêcher des personnes de partager autour de livres ?

Peut-être, si l'on se bloque sur le dispositif. Mais nous devrions pouvoir échanger sur un même roman, autour de l'intérêt et des émotions que nous avons ressentis à sa lecture, même si certains l'ont lu en édition livre de poche et d'autres sur leur smartphone. Cela peut au contraire rapprocher. Le texte lu reste le même, et en l'occurrence s'il y a fracture elle serait plus au niveau des préjugés, ce serait davantage une fracture générationnelle que numérique. C'est une question d'ouverture d'esprit au niveau des personnes à mon avis, et cela n'a rien à voir avec les technologies utilisées.
 
- Comment voyez-vous l’avenir du livre ?

Je crois en l'avenir de la lecture, dans le sens où lire c'est capter, décoder, puis documenter, et que c'est là une fonction première et essentielle de tout organisme vivant, à la fois bien en amont et bien au-delà des livres.
Le livre, quant à lui, en tant que dispositif de lecture, des cahiers de pages imprimées pliées et reliées entre elles sous une couverture, est sinon probablement appelé à disparaitre un jour, comme jadis les tablettes d'argile ont été remplacées par des rouleaux de papyrus, puis les rouleaux par des codex de parchemin, etc. Mais d'après les historiens du livre, les rouleaux et les codex auraient coexisté pendant au moins un siècle. Ce type de remplacement est très long, il s'effectue au rythme des renouvellements de générations. Nous devons aussi par rapport au passé prendre aujourd'hui en compte les possibilités d'impression à la demande, et également les avancées technologiques à venir du support papier lui-même (papier connecté, encre électro-conductrice...) qui pourraient lui redonner une nouvelle jeunesse...
   

mardi 21 mars 2017

LIVRE et TRANSMEDIA

Quid du livre face au transmédia
Si le livre n'est pas transmédia, la lecture, elle, l'est, elle l'est comme la vie, elle l'est spontanément, naturellement et essentiellement pour notre plus grand plaisir. 

C'est ce message, entre autres, que j'essayerai de faire passer le mardi 28 mars à la table ronde organisée à la Maison du Crowdfunding - KissKissBankBank, de 19H00 à 20H30 : LE FUTUR DU LIVRE SERA-T-IL TRANSMEDIA ? animée par Lila Meghraoua du magazine Usbek & Rica.

Le transmédia est plus que jamais d'actualité ! 
J'ai récemment eu le plaisir de répondre à ce sujet à une interview de Mathieu Jankowiak sur Creative Insights Mag { à lire en cliquant ici... }. 

Extrait de cet entretien :
Quelle définition pouvez-vous donner du transmédia ? 
" Le transmédia n’est pas un média. C’est le passage d’un même flux narratif par différents médias.
Ce n’est là bien sûr que ma définition personnelle par rapport à mes propres recherches en prospective. Mais il me semble important de ne pas tout confondre et mélanger. Un média est simplement un moyen de diffusion. Le multimédia, qui remonte au moins au mouvement surréaliste, consiste à utiliser différents médias au sein d’une même réalisation. Le cross-média utilise lui différents médias pour diffuser un même contenu qui se décline différemment dans chacun en fonction de ses caractéristiques. Le transmédia va au-delà, par essence il est narratif et sur le modèle des « mondes persistants » apparus avec les jeux en ligne massivement multijoueur. C’est-à-dire que même en notre absence le contenu continue d’exister et d’évoluer, de changer en temps réel… Qu’il soit fictionnel ou documentaire, chaque média traversé présente un contenu à la fois singulier et complémentaire aux autres, tout en restant évolutif au gré des interactions avec ses « lecteurs »... "
J'avais également eu le plaisir d'organiser et d'introduire une table ronde sur ce thème : Le transmédia va-t-il réinventer le livre ? à l'Ecole Estienne, en partenariat avec l'ATEP (Association des techniciens de l'édition et de la publicité) et Viabooks, le 09 janvier courant. 

samedi 20 août 2016

Les éditeurs numériques en aout 2016

A signaler la toute récente actualisation estivale de la liste des éditeurs numériques francophones : accessible en suivant ce lien...  
Pour tous vos projets d'articles, de conférences, d'organisation ou d'animation de tables rondes sur des sujets liés aux changements au sein de l'interprofession du livre, n'hésitez pas à consulter cette page, et à me contacter...

jeudi 10 mars 2016

Wattpad pour partager sa passion de lire

A lire mon interview sur Viabooks au sujet de la plate-forme Wattpad et du projet que j'y mène actuellement sur le sujet du Voyage Intérieur du Lecteur...

Une interview à lire sur Viabooks...
 
"Le principe de Wattpad est simple : publier petit à petit les chapitres de son livre, et lire en direct les réactions des lecteurs. C’est la plate-forme qu’a décidé d’utiliser Lorenzo Soccavo pour son dernier livre, Le Voyage intérieur du lecteur. Lui qui est spécialiste de la prospective du livre nous explique les changements que cela apporte à sa façon d’écrire, et à la façon de lire. 
 
Viabooks : Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire via Wattpad ?
 
Lorenzo Soccavo : Wattpad est une plate-forme de publication qui rassemble une majorité d'adolescents et de jeunes adultes passionnés par la lecture et l'écriture, et c'est là absolument le type de lectorat que je désire toucher avec ce projet spécifique, dont le titre est je pense assez explicite : Le Voyage Intérieur du Lecteur. Je suis chercheur en prospective du livre et de la lecture et, chose rare sur Wattpad, j'y publie donc de la non-fiction, mais avec cette particularité de traiter justement de la passion que je partage avec les membres de cette communauté : le plaisir de lire et le besoin d'écrire..."


mercredi 18 mars 2015

Ne pas opposer imprimé et numérique !

Je pense qu'il n'y a pas véritablement de discontinuités dans l'histoire de la lecture. De l'acquisition du langage articulé, l'invention des écritures puis des alphabets, les mutations et les évolutions des dispositifs et des pratiques de lecture jusqu'à nos jours, il n'y a pas de coupures, mais un processus indéfiniment mobile.
Ce que nous pouvons, c'est distinguer des périodes, et essayer d'y lire comment s'y sont inaugurées des pensées nouvelles. Ce que nous pouvons, c'est essayer de penser d'autres formes de lectures avec des dispositifs nouveaux, penser la lecture autrement, sans pour autant renier son passé qui est notre héritage culturel.
Comme l'écrivait Michel Foucault dans Les mots et les choses (1966) : "A la limite, le problème qui se pose c'est celui des rapports de la pensée à la culture : comment se fait-il que la pensée ait un lieu dans l'espace du monde, qu'elle y ait comme une origine, et qu'elle ne cesse, ici et là, de commencer toujours à nouveau.".
C'est autour de ces questions essentielles que j'ai gravité dans ce récent entretien avec Arnaud Sagnard, pour Le Cahier de Tendances de L'Obs de ce mois de mars :

"O" Le Cahier de Tendances de L'Obs - Mars 2015


lundi 9 mars 2015

Trois facettes de la prospective du livre

A l'occasion de récentes interventions j'ai pu éclairer trois facettes de la prospective du livre...
- Le 05 mars dans le Cahier Tendances de L'OBS avec mon point de vue "Vers l'émergence d'un livre hybride" dans le cadre du dossier de la rédaction : "Le livre, nouvel objet du désir".
J'y expose brièvement "les raisons de notre attachement viscéral à l'objet-livre mais aussi aux besoins de le dépasser, qui se font déjà sentir...".
- Le 04 mars dans une Tribune sur Viabooks : "Les acteurs du livre : brillants alliés de leurs fossoyeurs ?", à lire en suivant ce lien...
- Le 04 mars encore avec ma participation à la préparation du Festival des Arts ForeZtiers (28-31 aout) : "Les livres en la forêt, pages et belles feuilles...", à lire en suivant ce lien...

Livre forêt par Véro Béné pour Les Arts ForeZtiers


vendredi 16 janvier 2015

Viabooks me donne la parole sur les Mutations du Livre et de la Lecture

Cliquez ici pour lire l'interview...
Les quelques questions d'Olivia Phélip pour Viabooks - "Le Meilleur des Livres et des Auteurs" ont été pour moi une bonne occasion en ce début d'année de faire le point sur les perspectives que je trace dans mon récent essai "Les Mutations du Livre et de la Lecture en 40 pages" publié fin 2014 aux éditions UPPR.
 
L'occasion de m'exprimer sur l'évolution du livre numérique et l'émergence de nouveaux types de contenus, l'implication des auteurs et des lecteurs, et aussi de formuler des vœux pour "les livres de demain"...
Qu'en pensez-vous ? Vous pouvez découvrir cette interview sur le site de Viabooks en cliquant ici...
 

mercredi 10 décembre 2014

La lecture sur papier : un luxe demain ?

L'interview que j'ai accordée au magazine économique "EcoRéseau" sur le livre en 2050, pour leur numéro de novembre 2014 est gracieusement consultable (ainsi que l'ensemble du magazine) en suivant ce lien...
 
Ci-après l'intégralité de l'interview (dont seuls des extraits ont été retenus par la rédaction du magazine et le reste plus ou moins intégré dans  l'article) :

" Pourriez-vous résumer très brièvement les grandes évolutions du livre depuis son apparition ?
La dimension transhistorique est capitale pour bien saisir l’aventure du livre depuis ses origines et réaliser à quel point elle est imbriquée à l’épopée de l’espèce humaine. Partant de l’archéologie préhistorique et des travaux de linguistes sur l’origine du langage je considère ce que nous appelons « les artefacts symboliques du langage » comme les précurseurs des dispositifs de lecture. Il s’agit d'objets détournés de leur finalité ordinaire, par exemple placés dans une sépulture et témoignant donc d'un rituel funéraire. Cela indique l'exercice d'une pensée symbolique, consubstantielle au langage. Faire signifier ainsi le monde extérieur initie la pratique fabulatoire d'où émergera ensuite le livre sous toutes ses formes. D’abord les bulles à calculi de Sumer (-3300), que l'anthropologue Clarisse Herrenschmidt présente comme des projections de la cavité buccale qui renferme les mots avant qu'ils ne deviennent paroles. Aplaties, ces boules d'argile deviendront des tablettes qui tiendront dans une main d'homme ouverte. Ensuite les rouleaux de papyrus, les premiers livres manuscrits sur parchemin, les premiers imprimés sur papier, dits incunables (1450-1501), puis la mécanisation de l'imprimerie, son industrialisation, son informatisation. Depuis le début des années 2000 nous assistons à une multiplication des dispositifs de lecture (ordinateurs, liseuses, tablettes…). L’innovation vient surtout de nouvelles formes narratives qui se cherchent encore autour du transmédia et du développement massif de l’autoédition et des fanfictions…
 
Comment imaginez-vous le livre en 2050, dans les scenarii les plus fous ?
Avec l’évolution des objets connectés et de la réalité augmentée nous allons passer à un autre niveau de lecture. A un autre plan d’évolution technologique nous allons revivre la lecture immersive de la bibliographie naturelle par nos ancêtres hominidés les plus lointains. En vérité nous sommes dans un livre, et c’est ce livre total, ce livre absolu qui émerge depuis juillet 1971, le premier texte e-incunable numérisé par Michael Hart, l’inventeur du Projet Gutenberg. C’est ce livre qu’est notre univers qui se révèle lentement avec la grande convergence NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle et sciences cognitives) et qui va se cristalliser durant les prochaines décennies. Pour jouer le jeu du scénario le plus fou, je dirais au vu de recherches actuelles que nous pouvons imaginer une sorte de Livre-Mentor. Une espèce d’avatar sémantique de chacun, qui serait comme un guide de vie, un manuel de formation et une bibliothèque universelle. Il serait contenu dans une séquence d’ADN de synthèse et nous pourrions via une puce RFID sous-cutanée le consulter en permanence sur de nombreux supports, soit embarqués, soit ambiants dans notre environnement extérieur.
 
Quel sera le support privilégié ?
Nous verrons probablement une interface hybride conjuguant les avantages du papier et des écrans, au niveau de la souplesse et des capacités d’affichage. Peut-être à base de graphène, un cristal monoplan de carbone. Comme un rouleau, ou une feuille pliable et extensible aux dimensions que les conditions de lecture nécessiteraient… Mais je crois surtout que nous ne penserons plus alors en termes de supports. Ce qui caractérise aujourd’hui la métamorphose du livre, c’est précisément le découplage entre les contenus et leurs supports d’affichage. Demain, tout ce qui pourra être support d’affichage pourra potentiellement faire livre (table, vitre, miroir, pare-brise, murs et plafonds…). Plus de supports uniques.
 
Croyez-vous que le papier a un avenir ? Dans quel domaine ?
Le papier, matériau naturel et recyclable a certainement un avenir. Peut-être hors du champ de l’impression et de l’édition. Je pense aux emballages, ou aux produits parapharmaceutiques. Les recherches, notamment à l’INP-Pagora de Grenoble sur les encres conductrices d’électricité et l’électronique imprimée, montrent bien que le papier peut évoluer technologiquement en parallèle des écrans.
 
En allant loin dans la prospective, croyez-vous qu’en 2050 le support particulier des livres n’existera plus, puisque le texte et les images pourront être projetés sur tous les supports (murs, tables,…) ?
Ce qui n’existera plus ce sera l’interface du codex, des cahiers de pages imprimées, pliées, reliées entre elles et protégées par une couverture. Mais rouleaux et codex ont coexisté plusieurs siècles. Avec l’impression numérique à la demande chacun pourra choisir. Chaque lecteur doit avoir la liberté de pouvoir lire sur le support de son choix. Nous pouvons aussi imaginer qu’il y aura en 2050 quelque chose de reposant, de relaxant, d’exprimé par les objets dédiés à une activité unique. Par exemple : « ne faire que lire ». Ce « ne faire que » sera peut-être alors un véritable luxe. Je crois que le livre imprimé durera tant qu’il répondra au principe de plaisir de la lecture. Nous devons aussi prendre en considération les postures, les logiques d’usages développées par les lecteurs, les capacités de nos cerveaux à s’adapter à de nouvelles formes de lecture…
 
Quels pays sont susceptibles d’être à la pointe du changement ?
Je pense que nous devrions être plus attentifs à l’évolution en Chine. N’oublions pas qu’ils avaient mis au point le papier et l’imprimerie avant nous. Les écritures asiatiques se prêtent aussi plus aisément à une lecture sur petits écrans. Pour les continents africain et sud-américain le circuit de l’édition numérique peut permettre un développement que les contraintes matérielles de l’édition imprimée rendaient difficile.
 
Est-on plutôt conservateur en France, ou bien au contraire ?
Comme sur toute la surface de la Terre je pense, nous sommes multiples. Certains sont plutôt conservateurs et d’autres plus novateurs. Mais le livre imprimé reste un symbole et un fort marqueur culturel.
 
Enfin dernière question quant à vos travaux : dans les différentes conférences et discussions que vous avez, sentez-vous que les gens ont envie de changement dans ce domaine, qu’ils cherchent à lire autrement ?
Ce que j’observe tous les jours à Paris dans les transports en commun et dans les lieux publics c’est que de plus en plus lisent sur des liseuses, des tablettes, voire des Smartphones… Les jeunes adultes me semblent plus attachés aux livres imprimés, pour ce qu’ils représentent symboliquement, tandis que les personnes plus âgées sont parfois séduites par l’innovation, les avantages pratiques de pouvoir grossir les caractères et emporter avec soi des centaines de livres. Mais les tout jeunes enfants qui ont aujourd’hui leurs premiers contacts avec la chose écrite sur les Smartphones ou les tablettes tactiles de leurs parents, ceux-là ne se tourneront sans doute pas spontanément vers ce que nous appelons aujourd’hui livre quand ils seront adultes. Et ceux qui auront 18 ans en 2050 ne sont pas encore nés ! "

mardi 21 août 2012

De la fonction sociale du livre à l'heure du numérique

Dans la foulée de l'enquête de Camille Poirier, mise aujourd'hui en ligne sur le site de L'Express : "Du papier au numérique, quand le livre crée des liens", je vous mets à tous ci-dessous l'intégralité de l'interview initiale, simplement pour que vous ayez plus d'informations sur ce que je pense de cette question ;-)
" - Quels sont, selon vous, les principaux bouleversements qu’implique le passage du livre papier au livre numérique ?

Ils sont nombreux je pense ! Comme lors du passage de l'édition manuscrite à l'édition imprimée à la fin du 15e siècle, nous assistons à une reconfiguration du marché et à l'arrivée de nouveaux entrants. Pas seulement des mastodontes anglo-saxons, comme Amazon, Apple ou Google, mais également une nouvelle génération d'éditeurs, que je qualifie de "pure-players". Il s'agit d'entrepreneurs qui publient des livres exclusivement dans des formats numériques à destination des nouveaux dispositifs de lecture. J'en ai déjà répertorié plus de quatre-vingt dix francophones.

Cette reconfiguration engendre des tensions au sein de l'interprofession, notamment entre les éditeurs traditionnels et les auteurs. Les médiations autour du livre se redéfinissent sur les blogs et les réseaux sociaux où les légitimités sont rediscutées et où le lien social se tisse avec d’autres règles, apparemment plus libres. Les plateformes d’autopublication se multiplient et les lecteurs vont de plus en plus vouloir eux aussi être reconnus comme des auteurs. En vérité personne ne sait où nous allons !

- Pensez-vous qu’ils sont destinés à cohabiter, ou que le second remplacera le premier ?

La cohabitation va être assez longue. D'après les historiens les rouleaux et les livres auraient coexisté pendant au moins un siècle. Mais c'est principalement une question de générations je pense. Celles et ceux qui ont fait leur apprentissage de la lecture sur des livres imprimés vont, comme moi, toute leur vie rester attachés à ce support de lecture. Mais pour ce qui est des tout jeunes enfants qui ont aujourd'hui leur premier contact avec l'écrit sur les smartphones ou les tablettes internet de leurs parents, et qui seront ensuite scolarisés dans des écoles de plus en plus équipées en outils numériques, nous pouvons vraisemblablement penser que lorsqu'ils seront adolescents puis jeunes adultes ils ne se tourneront plus instinctivement vers du papier imprimé pour lire. 

- Les détracteurs du livre numérique affirment que la lecture sur écran est plus individualiste, moins « humaine » : plus d’échanges ou de prêts de livres, de discussions avec les libraires ou bibliothécaires… Pensez-vous que le « rôle social » du livre disparaîtra avec le numérique ou, au contraire, que le numérique pourrait encourager les lecteurs à échanger davantage, en laissant leurs avis sur un livre par exemple ?

Depuis que nous sommes passés il y a plusieurs siècles de la lecture orale à la lecture silencieuse, lire est une activité solitaire, intime. L'arrivée sur le marché de nouveaux dispositifs de lecture (liseuses ou tablettes), de livres numérisés et d'œuvres numériques multimédia, provoque en réaction une surestimation des liens que certains pouvaient entretenir avec leurs libraires.

En fait, sur les réseaux sociaux il est souvent question de livres et de lecture. De nombreux auteurs plus ou moins connus ont leurs blogs, mais il existe surtout beaucoup de blogs de simples lecteurs qui veulent partager leur passion de lire et leurs coups de cœur.
Dès 1996 et jusqu’en 2009 Isabelle Aveline et son équipe avaient avec Zazieweb posé les bases des communautés de lecteurs qui aujourd’hui se multiplient. Je pense à Babelio, par exemple. Il est incontestable que les TIC facilitent et augmentent les échanges autour du livre.

- Quelles sont les principales évolutions que l’on puisse envisager en matière d’ « environnements de lecture » (bibliothèques, librairies…) ?

Avec le développement du commerce en ligne, et pour le livre des acteurs tels qu’Amazon, Apple et Google, les libraires, par ailleurs confrontés à la crise économique et à des loyers prohibitifs sont en position très délicate.

Ce qui se profile, au-delà la baisse des ventes de livres imprimés au profit du téléchargement de livres numérisés, c’est la lecture connectée, en quelque sorte en streaming comme pour la musique. Le modèle de distribution du livre numérique qui est en train de se mettre en place est celui d’un stockage de nos bibliothèques dans le fameux “cloud” (nuage), en réalité des serveurs informatiques. Nous n’achèterons plus de livres, mais nous paierons un droit d’accès ou un abonnement. Avec ce que cela peut supposer, entre autres comme profilage des lecteurs.
Les bibliothèques, qui se présentent déjà volontiers comme des médiathèques, peuvent par contre devenir de véritables tiers-lieux, des espaces de sociabilité autres que le foyer et le travail.
Mais tous, libraires comme bibliothécaires, vont devoir tenir compte de plus en plus des nouvelles formes de médiations et s’orienter rapidement vers le web 3D immersif. Récemment Immochan (filiale du Groupe Auchan) a lancé la version béta d’un centre commercial virtuel en 3D, baptisé Aushopping. Une nouvelle vision du commerce qui intègre la connexion à distance et une dimension réseau social. C’est dans cette voie que doivent s’engager les acteurs du livre et c’est pour les y sensibiliser que j’ai lancé en janvier l’incubateur web 3D MétaLectures

- Vous êtes l'auteur d'un livre sur la "bibliosphère", dont vous nous parliez en 2011. Où en sont les bibliothèques, aujourd'hui, par rapport au livre numérique ?

Elles expérimentent, elles le testent auprès de leurs personnels et de leurs usagers. En général les résultats de ces tests ne font pas vraiment sens à mon avis, car ils ne concernent pas suffisamment de lecteurs pour être significatifs. Et puis, chaque bibliothèque est particulière, en fonction de son implantation géographique, des populations auxquelles elle s'adresse... Mais je pense surtout, qu'exceptés les publics d'étudiants et de chercheurs, les gens viennent toujours pour l’imprimé et pour trouver autre chose que ce qu'une connexion qu’ils peuvent avoir de n’importe où leur apporterait.
Il est certain qu'au 16e siècle tous les ouvrages manuscrits n'ont pas été imprimés, et de même aujourd'hui, tous les titres imprimés ne seront pas numérisés. Les bibliothèques ne doivent pas, pour être résolument modernes, négliger leur mission essentielle qui est d'assurer la conservation et la pérennité des livres. Quand je parle de bibliosphère, je ne pense pas au rapport entre les bibliothèques et les livres numériques en particulier, mais, plus généralement, au déploiement des bibliothèques sur tous les plans des nouveaux territoires digitaux : web 3D, réalité augmentée…"