dimanche 25 octobre 2015

Réflexions à la lecture de MAGIE ET TECHNOLOGIE de Manuela de Barros

Une intéressante réflexion sur une centaine de pages de Manuela de Barros sur les liens entre magie et technologie (comme arts de l'illusion et de la manipulation dirais-je) vient de paraître aux Editions Supernova.
Cet essai trouve sa place dans la bibliographie de la prospective du livre et de la lecture, en ce sens qu'il met en perspective la pensée et le discours des technosciences, et ce faisant par un effet de miroir, de réflexion, éclaire l'avenir en éclairant le passé.
Sur son étagère virtuelle cohabitent quelques livres comme, par exemple, La sorcière de Jules Michelet (évoqué par l'auteure), ou d'autres auxquels j'ai repensé, comme Les enchanteurs de Romain Gary, ou encore La logique de l'usage de Jacques Perriault. Rien que cela montre la diversité des approches à laquelle je suis si sensible, la subjectivité des points de vues et leurs noces alchimiques dans une multidisciplinarité féconde.
  
Dans ce premier volet d'une trilogie en gestation, Manuela de Barros s'attarde notamment sur la pensée et les travaux de Donna Haraway, pour laquelle: "La frontière qui sépare la science-fiction de la réalité sociale n'est qu'illusion d'optique".
Voilà de formulé avec clarté l'un des axes d'investigation de ma propre activité de chercheur en prospective de la lecture : "La réalité est faite de représentations, résume Manuela de Barros, comme dans un roman de K. Dick notre monde serait construit sur un mode hallucinatoire. C'est le discours sur le monde qui lui donne forme et le rend appréhendable, par exemple avec les mythes et la religion."
 
"Les "marginaux" de la Silicon Valley ont réussi par leur puissance monétaire et leur capacité à créer un monde imaginaire dans lequel la frontière entre le fictif, le réalisé et le réalisable est floue, à faire de l'ombre au monde réel...", nous met en garde l'auteur.
Mon travail de veille me confronte au quotidien à ce nouveau, à cet autre récit du monde en train de s'écrire et dans lequel nous ne savons pas exactement quels seront nos rôles et s'ils sont réellement (sic) enviables ? 
Ce phénomène d'écriture d'un nouveau récit a été tout récemment très bien documenté par Anne Besson dans son volumineux essai paru en avril 2015 aux éditions du CNRS : Constellations - Des mondes fictionnels dans l'imaginaire contemporain.
" [...] les technologies existent parce que quelqu'un y a cru assez pour créer une nouvelle réalité. Et j'ai même tendance à penser, ajoute Manuela de Barros, qu'il y a un processus encore à identifier totalement, par lequel on crée les conditions matérielles de réalisation d'objets et d'opérations imaginaires.". D'où, plus que la parallèle, l'inscription des technologies dans les stratégies de la magie pratique
 
La prospective de la lecture en fer de lance  
 
La Grande convergence, j'ai déjà avancé plusieurs fois cette proposition, a à voir avec la lecture. Avec la génomique le corps vivant lui-même est considéré comme un code à décrypter. La bio-ingénierie forme une génération de bibliothécaires dont nous peinons à imaginer de quels genres de livres ils seront un jour les gardiens et les médiateurs.
 
Ce dont nous devrions prendre conscience, c'est que les mutations en gestation dans le secteur, apparemment innocent, du livre, dépassent de beaucoup les simples et habituelles questions matérielles liées aux supports et aux dispositifs. Probablement même qu'à l'échéance de la fin de ce siècle la problématique ne se posera plus en ces termes (c'est-à-dire dans ceux où, malheureusement, la majorité d'entre nous la pose aujourd'hui), et, sans que cela n'ait plus alors aucune espèce d'importance, et qu'elle n'aura pas pour autant, cette problématique, été résolue par rapport à une opposition (ni même à une complémentarité) papier / écran, imprimé / numérique. Car ce qui se prépare actuellement est en fait bien plus de l'ordre de l'émergence, d'une part, de nouvelles formes de narration, et, d'autre part, d'univers transfictionnels, avec des moyens d'accès et de locomotion dans le fictionnel que nous commençons tout juste à pouvoir deviner (casques de réalité virtuelle, lunettes et/ou lentilles connectées, intelligences artificielles et transferts de mémoires, etc.).
 
Nous assistons actuellement au divorce de la lecture d'avec les pouvoirs de l'écrit (Cf. pour mémoire : Histoire et pouvoirs de l'écrit, de Henri-Jean Martin).
Des questions essentielles se posent sans cesse à nous.
Qui écrit, qui contrôle les (nouvelles notamment) procédures narratives ?
A quoi, la fiction, en tant que puissance intégratrice, nous intègre-t-elle ?
Serait-ce dans le cœur de la fiction que pourraient se réaliser des expériences de pensées à la frontière des œuvres de Borges et de la mécanique quantique ? (Après la fiction romanesque comme laboratoire des cas de conscience (Frédérique Leichter-Flack), le roman comme laboratoire de physique quantique ?)
Et si Hermann Hesse avait été visionnaire de cela dans son fabuleux Le jeu des perles de verre ?
 
Voilà mes réflexions à la lecture de Magie et technologie, un essai accessible à partir du site des éditions Supernova, et dont je vous recommande la lecture (Vidéo de présentation par l'auteure).

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